Société
Reportage: Les oubliés du terrorisme, la vie des veuves, et orphelins
O’fem publie cet article en la mémoire de Bouli Adamou Idée, journaliste professionelle, ancienne rédactrice pour O’Fem Magazine décédée des suites d’une courte maladie à Ouagadougou le mecredi 27 oct 2021.
Le présent reportage lui a valu le premier prix lors du concours des meilleures production en journalisme d’investigation et utilisation des outils multimédias.
Par : Bouli Adamou Idé
Dans les rangs des forces de défense et de sécurité tout comme celui des civils, les victimes du terrorisme sont majoritairement des hommes. Des chefs de famille qui meurent, laissant derrière femmes et enfants, désorientés. Enquête dans la vie des veuves des victimes de l’extrémisme violent. Une vie perdue entre ignorance de droits et défis quotidiens.
Des attaques terroristes endeuillantes
Tillaberi est une des huit régions que compte le Niger, pays au Sud du Sahara. Situé à 113 km de Niamey, la région du fleuve est située dans l’ouest du Niger. C’est ici que vit Salama, 38ans mère de deux enfants. Elle a perdu son mari un lieutenant de la garde Nationale à Bosso, région de Diffa au sud-est du pays, suite à une attaque terroriste de février 2016. « Nous étions à Diffa quand il a été affecté à Bosso. Il était juste parti pour une prise de service quand l’attaque a eu lieu et nous avons appris la triste nouvelle » se rappelle, encore sous le choc, la jeune dame.
À 82 km de Tillaberi, se trouve Ayorou. C’est dans cette ville près de la frontière avec le Mali que Foureta, 35 ans, mère de 4 enfants, sa mère Kadidja et Aminata coépouse de sa mère ont trouvé refuge après avoir abandonné leur village peul du nom de Agueye, dans la commune rurale d’ Inates à 55 kilomètres de Ayorou. Le 18 mai 2018, Le village de Agueye peul a été la cible d’une attaque par des individus armés. Le bilan est lourd : 17 morts. Parmi ces tués, il y’a le mari de Foureta et celui de Kadidja et Aminata. Kadidja se souvient encore de ce moment dramatique : » les bandits sont venus sur des motos alors que les hommes étaient à la mosquée pour la prière de 16h. Ils ont commencé par mettre le feu à nos cases, ensuite ils sont partis à la mosquée tirer sur les hommes. Les populations ont décidé, dès le lendemain de ce drame, de quitter les lieux.
Sans doute du fait de sa situation géographique, seulement 100 kilomètres séparent la ville de la frontière malienne, Ayorou est exposée à plusieurs menaces terroristes. Le département est sous État d’urgence depuis mars 2017. De mai à septembre 2018, la commune d’ Inates a enregistré en elle seule 72 hommes qui ont perdu la vie, 3 autres enlevés. Cette insécurité a fait 14.000 personnes déplacées internes dont 8.223 femmes soit 60% de l’effectif, selon Souley RAYI un élu de la Commune d’Inates.
Veuves et orphelins désormais dans la précarité
Parmi les déplacés, des femmes, dans certains cas avec des enfants, laissant derrière tout ce qu’elles possédaient. Foureta, Kadidja Aminata et leurs enfants vivent sous la responsabilité de Yahaya, un de leur parent à Ayorou. Pour les nourrir, Yahaya travaille dur. » J’ai à peu près 40 personnes à ma charge. Comme nous sommes en période de récolte des céréales, je pars dans les champs pour aider les propriétaires et on me paye avec du mil » nous raconte-t-il.
Pourtant, la loi a prévu des indemnisations pour les familles des civils victimes de conflit armé. « Oui ! Ces familles peuvent être indemnisées mais vers qui doivent-elles se tourner d’autant plus que l’extrémiste n’est pas assez solvable pour qu’on puisse l’assigner, pour que le juge puisse le condamner et avoir des dommages et intérêts pour la veuve et les orphelins », explique Mme Barry Bibata GNANDOU, avocate.
Retour à Tillaberi. Épouse d’un lieutenant de la garde Nationale, depuis le décès de son mari, Salama est aujourd’hui vendeuse de frite de patate douce sur la chaussée. C’est l’activité qu’elle mène pour se prendre en charge elle et ses enfants. En lien avec la fonction de son mari, Salamata ne perçoit que la pension des enfants qui de cent quarante mille deux cent francs CFA (141.200fcfa) le trimestre soit moins de cinquante mille francs CFA (50.000) le mois. Elle ne bénéficie pas de droit lié à son veuvage » j’entends seulement parler de prise en charge mais je ne jamais bénéficié de ça, ni moi ni mes enfants. Depuis la mort de leur père, c’est moi même qui paye les soins de mes enfants » explique Salama les yeux remplis de larmes.
Pourtant, la loi a prévu des indemnisations pour les familles des militaires morts en service commandé. Selon Ali KADRI, avocat à la Cour, il existe deux catégories d’indemnisation : d’abord le capital décès qui est calculé en fonction du revenu et du salaire du militaire. Ce capital décès doit être versé directement aux veuves et orphelins de ce militaire. Il y’a ensuite les droits octroyés et versés. Ici, l’État reconstruit la carrière de la personne et verse une indemnité proportionnelle à la reconstitution de la carrière. »
Mieux, selon un décret présidentiel en date du 23 juin 2013, il est prévu l’octroi de certains avantages aux veuves, veufs et orphelins des militaires. Notamment des frais supplémentaires à l’occasion des fêtes ou encore l’inscription sans concours au Prytanée militaires pour les orphelins qui le désirent. Salama ne bénéficie pas de tout ceci.
Pour savoir l’effectivité de l’application de ces textes, nous avons contacté l’association des veuves des militaires morts en service commandé. Au début la présidente a manifesté sa volonté de répondre à nos questions. Ensuite, elle ne répond plus à nos appels. Les quelques membres que nous avions appelé individuellement disent avoir peur d’évoquer le sujet même sous couvert de l’anonymat. Notre correspondance au service de l’assistanat social de l’armée est restée lettre morte. « Nous avons l’obligation réserve » nous confie la responsable de l’assistanat social des armées.
L’armée justifie ici son surnom de grande muette où le silence est la règle. Toutefois, de l’aveu même d’un agent du contentieux de l’État, son service a enregistré « beaucoup de plaintes » sans préciser le nombre exact. Des femmes qui ont tenté des actions en justice contre l’État pour bénéficier des avantages que leur confère la loi en la matière, le plus souvent sans succès.
La vie de ces femmes, qu’elles soient veuves de civils ou de militaires, a certes été épargnée par les assassins de leurs époux. Mais les séquelles et les dégâts causés par la perte de leurs proches restent insondables et vivaces.
Salamata, qui a connu une vie meilleure du vivant de son mari, se retrouve dans une précarité inouïe, quand à Foureta, Kadidja et Aminata désorientées, elles attendent de lendemains meilleurs, sans grands espoirs. Combien de temps pourront-elles continuer à vivre de la pitié et la solidarité des autres ? Pour elles, désormais, vivre une vie digne est plus qu’un voeu , c’est un énorme défi.
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