Cinéma
Entretien avec Aicha Macky Kidy la briseuse de Tabous
Aicha Macky Kidy est désormais un nom qui ne passe pas inaperçu. La jeune réalisatrice nigérienne a fait retentir le nom du Niger dans les quatre coins du monde. Son dernier chef d’oeuvre cinématographique “l’arbre sans fruits” a raflé 45 trophées dans les festivals de films internationaux.
Présentez-vous à nos lecteurs.
Aicha: Je suis Aicha MACKY, Nigérienne native de Zinder.
Je suis sociologue et réalisatrice cinéma documentaire de formation.
Votre nom est désormais indissociable du chiffre 45. Oui votre film « l’arbre sans fruit » a été primé 45fois, dans 45 festivals internationaux de film, 45trophées, dans les 4coins du monde ; c’est totalement hilarant, qu’est-ce que vous ressentez ?
Aicha: Naturellement, c’est une joie immense pour moi et pour mon équipe technique.C’est aussi une grosse panique pour le prochain. Quand avec un premier film, vous avez un succès comme celui-là, vous ne parvenez plus à dormir.Mon souci actuel c’est comment faire pour ne pas décevoir tous les gens qui m’ont soutenu ? Je ne parle pas que des partenaires, je parle de tous les promoteurs. Les journalistes tous genres confondus, y compris les ami(e)s de Facebook qui ne cessent de me dire bravo à chaque étape. Je suis certaine que tout ce beau monde attend quelque chose de mieux. C’est aussi mon vœu. Arriver à corriger les erreurs qui se trouvent dans le premier.
En réalisant ce film vous vous doutiez qu’il aurait un tel succès ?
Aicha: C’est un film que j’ai fait avec tout mon amour. Il a pris 3 ans de ma vie.Je l’ai réalisé parce-que j’avais envie de parler et de faire parler les femmes.Je voulais qu’un film existe. Je voulais filmer, discuter afin d’amorcer un changement par rapport à la perception de l’infertilité. Pour que la société comprenne que l’infertilité n’est pas que féminine, elle est aussi masculine et qu’elle pouvait avoir un remède si le couple accepte d’aller vers la médecine…
Le succès, ça n’a jamais effleurer mon esprit.
Selon vous qu’est-ce qui peut expliquer le fait que « L’arbre sans fruit » ait eu un tel succès ?
Aicha: Il y a d’abord l’originalité du sujet et l’approche aussi.C’est une histoire de vie, ça touche forcement. La technique aussi été au RDV. La beauté des images, la lumière, le son… Tout était beau malgré la douleur.
Audacieuse vous l’êtes ! C’est le moins que l’on puisse dire, car il en faut de l’audace pour qu’une femme dans notre société parle ouvertement de ses problèmes d’infertilité, mais vous l’avez fait, pourquoi ?
Aicha: C’est le lieu d’abord de corriger le discours du film. Ce n’est pas un film sur des femmes infertiles. C’est un film sur la perception de l’infertilité. Aucune femme dans le film n’est infertile puisqu’aucun examen médical ni le mien, ni celui de ces femmes ne fait cas de cela. Si je n’avais pas été réalisatrice, cette histoire, je l’aurai conté à quelqu’un pour qu’il l’a mette en image. C’est inadmissible que les femmes soient injustement traitées d’infertiles alors qu’aucun examen médical ne le prouve. C’est inadmissible que des gens qui ne savent pas comment les couples vivent leurs sexualités, comment ils gèrent le problème d’une grossesse qui ne vient pas, se mettent à juger, calomnier maltraiter les femmes. Surtout ce qui est inadmissible, c’est que le problème vienne d’autres femmes. La majeure partie des femmes rencontrées parlent du refus des hommes de faire un simple spermogramme. Elles parlent de leurs incapacités à se sentir à l’aise dans leurs propres foyers de peur qu’on leurs jette à la figure cette ” incapacité”. Comme si la grossesse va de soi, comme si la grossesse ne se fait pas à 2. Les hommes sont souvent victimes collatérales sous pression des familles, des amis ou des simples voisins curieux (comme la gestion du couple se fait souvent en communauté).
Ce film à votre avis a t’il changé le regard voire le jugement que la société porte sur vous avant sa réalisation ? Si oui comment ?
Aicha: La société ne me connaissait pas avant la réalisation du film.J’étais une citoyenne lambda que seule mon entourage connaissait.
Aicha peut-on vous appeler la femme qui brise les tabous ?
Aicha: Un de vos confrères, Souley Moutari de l’ONEP (Office National D’édition et de Presse) appelé ainsi quand il a assisté à la projection de mon film d’école “Savoir faire le lit” qui parle de la question de l’éducation sexuelle entre parents et enfants. Depuis lors, beaucoup de journalistes nationaux et internationaux m’appellent ainsi. Mon ambition c’est de traiter des sujets tabous qui font ravages dans notre société.
Vous avez fait le tour du monde cette année, c’est des rencontres et des expériences inédites, qu’est-ce que vous retenez globalement de ces voyages ?
Aicha: Les voyages, c’est des moments forts de découverte et d’inspiration. C’est aussi des moments pour nouer d’autre partenariats pour les prochains films. Lors de ces voyages, j’ai compris que beaucoup de pays Africains ont comprit l’intérêt de prendre part aux grandes rencontres afin de chercher des partenaires à travers les centres de cinéma surtout. J’ai aussi compris combien c’est important de former une relève car la plupart des pays envoient des jeunes qui ont la passion, des jeunes qui sont capables de défendre le pays parce qu’ils sont mieux outillés, mieux ouverts vers les nouvelles technologies….
Vous êtes une icône du Cinéma au NIGER et dans le monde, la femme que vous êtes l’assume comment dans un monde d’homme ?
Aicha: Je n’ai jamais eu de barrière par rapport à un travail quel qu’il soit. Surtout un travail intellectuel qui est ouvert à tous. A l’école ces hommes et moi avions composé les mêmes matières, subit les mêmes évaluations , reçu les mêmes formations techniques. Je ne vois pas en quoi j’aurai un frein dès lors que j’ai opté pour ce travail qui me passionne tant. Ce travail qui me procure du bien être puisqu’il me permet de m’exprimer autrement.
Au Niger le Cinéma ne nourrit pas son homme, qu’est ce que vous faites quand vous n’êtes pas sur les plateaux de tournage ?
Aicha: Quand je ne suis pas sur les plateaux de tournage, je suis diplômée sans emploi comme beaucoup d’autres jeunes. Néanmoins, je refuse de chômer pour ne pas désapprendre. Je me débrouille en faisant des enquêtes pour certains cabinets de recherche avec mon diplôme de sociologie.Il m’arrive aussi d’être associée par l’ambassades des Etats-Unis au Niger a des formations de jeunes. Je fais aussi la vacation au niveau de l’IFTIC, même si cette année je n’ai pas été disponible étant la plupart de temps hors du pays.
Aicha votre cri de cœur ce serait quoi ?
Aicha: Que le politique s’implique et soutien les artistes. Particulièrement les cinéastes pour que nous ayons au moins 3 films réalisés dans les normes internationales qui puissent aller à des compétitions internationales comme ce que fait le Burkina et pleins d’autres pays. Il faut que le politique s’implique surtout dans la formation car les pays qui se distinguent disposent des réalisateurs formés. La technique évolue, il nous faut des formations en continue pour une mise à niveau pour ceux qui ont la base et la formation à la base pour ceux qui ont la passion et veulent commencer. Le cinéma est un travail qui demande beaucoup de moyens. Certains Etats l’ont compris et ils ont crée des fonds compétitifs et sélectifs. C’est le cas du Mali qui a un fond de 6 milliards sur 3 ans et le Sénégal qui a un fond de 2 milliards par an. Ce n’est pas de l’argent à distribuer aux artistes, c’est de l’argent pour la création qui est mis à la disposition de la production pour faire d’une idée un film.
Mon autre cri de cœur, c’est à quand le statut de l’artiste pour qu’aucun artiste ne meurt misérable ou finisse mendiant ou clochard ?
Que pensez-vous de l’entrepreneuriat et du leadership féminin au Niger ?
Aicha: Dans un pays où tout est prioritaire, il est difficile voire impossible que l’Etat embauche tout le monde. En créant des entreprises, les jeunes permettent à d’autres jeunes d’avoir un boulot et s’auto-employer aussi. Pour le cas de la femme, quand elle est autonome, elle est mieux épanouie et est à même d’aider sa famille (parents, époux et enfants). C’est consciente de tout cela que je viens de crée ma société de production dénommée Tabous Production.
Archives Irdidjo Magazine 2017
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