CHRONIQUES

ON NE TOUCHE PAS A MON HOMME: Partie 5

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Voilà plus d’une heure que l’aurore a percé de ses doigts de rose le manteau noir de la nuit.

Le jour peu à peu s’installe sur N’feleleh, les bruits des voisinages couvrent le matin naissant: les chameaux blatèrent; les cabris arrachés aux mamelons des mères, crient leur détresse; dans le lointain brait l’éternel abusé, le baudet, à vous percer le tympan; les pilons reprirent leurs cadences dans les mortiers des servantes; les quelques rares véhicules de transport qui sillonnent les marchés hebdomadaires sont déjà sur le point de quitter. Tout le monde célèbre le retour du jour à sa manière, sauf le coq, le grand absent de ces contrées ; températures très élevées et couvées ne font pas bon ménage.

Chez nous le jour tarde à sonner, du moins pour les maîtres. Du côté de la fourmilière la galerie se vide avant le jour même. Ces « soldats et ouvriers » d’ici font partie de ces humains qui ont pour seul privilège: surprendre le soleil dans son lit. Chacun est dans sa loge: les balayeuses, puiseurs, pileuses, trayeurs et cuisinières….. aucun absent à l’appel de ce matin, en tout cas pour tous les locataires de la fourmilière; même le grand Akil , l’intendant, le contrôleur de ce beau monde, est déjà sur pieds. S’il veille sur la fortune locale du maître, il n’a pas le privilège de garder la couchette à l’instar des nobles repus de protéines et de théine, et qui voguent dans les brouillards de leur sommeil. Du haut de ses un maître quatre vingt dix (1m90), le djinn veille à la perfection sur le trésor des dieux.

Mon bus est pour huit heures, je dois partir de ces lieux et ne plus y revenir contre tout l’or du monde. Malgré leurs contacts avec le Maghreb voisin, la présence de l’administration, les années de rébellion, tout reste à voir dans ce coin de la terre…

Pendant que je cogitais sur N’feleleh et ses tares, mes bagagistes, elles, attendaient imperturbables,dans la cour, mes ordres, la seule qu’elles connaissent dans la vie. 
Je les ignorai, je fis appel à mes deux « parents  » pour m’accompagner, parce que nous avons des choses à nous dire. 
La gare est à 15minutes du domaine, il est 7heures et le départ a lieu une après l’arrivée du bus. Une heure à papoter, c’est largement suffisant pour remplir ma besace de commère et en faire un bon viatique pour la route qui m’attend.

Nous sommes à peine sortis du vestibule que mes « parents commencèrent à « vendre leur marchandise ». 
Les paroles étranglaient fadimata, tellement qu’elle avait à dire. Je la stoppai pour lui éviter de s’étouffer.

_vous voyez, vous deux, je rentre à la capitale, leur expliquai-je. 

_Mais vous allez nous revenir, Madame, c’est seulement pour une dizaine de jours, me rappela Adil. 

Je n’en suis pas sûre , mon grand. Les choses sont difficiles pour moi, chez vous. 

_oui, c’est normal, la ville est différente ! 

Comment le sais-tu ? Es-tu allé à la ville ? 

_quelle ville ? 

D’un air évasif, il cita:Tripoli, Alger, Nouakchott. 

Eh !!!!! M’exclamai_je, tu en as vu plus que moi, Adil 

_oui, mon frère Hamzat et moi voyageons tous les ans avec la Tamenokalt, depuis son mariage. Tantôt la Libye, tantôt l’Algérie pour les affaires, ou la Mauritanie où réside son oncle maternel. 
C’est  Tripoli où se trouve son mari et ses deux garçons, que nous visitons régulièrement. 

Là, Adil vient d’aiguiser toute ma curiosité. 

_sont-ils séparés ? 

Non, c’est à Tripoli qu’elle l’a rencontré.

J’ai voulu poursuivre l’interrogatoire, mais ma petite voix m’a stoppée, moi aussi. 

C’est fadimata qui à son tour me sortit de mon étourdissement

_Madame, vous ne serez pas de la fête, alors ? S’enquiert-elle. 

_Quelle fête fadim ? 

_le retour des transhumants.

En moins d’une heure, j’en ai pour plus que mon argent. J’ai appris en un laps de temps ce que trois mois de vie chez eux ne m’ont pas appris. Je pris cette largesse de mes « parents » comme un cadeau. 
Arrivés à la gare, c’est Adil, en bon habitué qui se chargea des formalités. Le bus est déjà en gare, il est en avance sur l’heure. 

L’attente ne sera pas longue. Une question me taraude néanmoins l’esprit. Je vais m’oter ce doute. Qu’est-ce que la Tamenokalt dit à mon sujet ? Si la vielle Nonoh m’a flanqué le sobriquet que les autres utilisent me concernant, qu’est-ce qu’elle a trouvé, elle, la toute puissante koul ? 

C’est à Adil que je vais poser ma question, fadimata est très fourbe, elle ne me dira que ce que je voudrais entendre. 

Erreur, de ma part ! Ne demande pas à un targui de te livrer une information, il se rétractera. C’est mieux quand il le décidera. Je fus déçue. 

C’est sur cette petite note de déception que je fis mes adieux à N’feleleh une matinée froide de décembre.

A SUIVRE…

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Enseignante, auteure de livres de français et de guides pédagogique, correcteure d'écrits( roman, mémoire..) Début dans l'essai littérature. Passionnée par l’art culinaire.

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